1
Stéphane, 19
ans, et Wilfried, 17 ans,
sont dans la
chambre de ce dernier –
au troisième
étage – parce qu’elle donne
sur la cour
du Palais de Justice,
où
stationnent les véhicules de la prison.
Leur ami
Olivier, également 17 ans,
est en ce
moment même jugé
– pour la
treizième fois – pour vol de voiture.
« Je me sens
libre quand je conduis la nuit. »
C’est tout
ce qu’il disait quand il était au volant.
Les deux
amis roulent un énorme joint
et
s’installent à la fenêtre.
Narguer les
autorités leur plaît bien
et ils
plaisantent à propos de ça.
Mais au bout
de quelques minutes
leur ami
Olivier apparaît entre deux policiers,
menottes aux
poignets, tout en bas,
petit dans
la cour. Il lève la tête vers eux,
et les salue
de ses deux mains jointes, souriant.
Stéphane
lève le joint timidement dans sa direction,
répondant à
son apparente décontraction.
Alors un des
policiers pousse doucement leur ami
dans le dos
afin qu’il grimpe dans le véhicule
qui le
conduira à la prison de Rouen.
Une prison
d’adultes cette fois.
La fumée a
du mal à entrer dans les gorges
et ils
voient le pâle sourire que leur adresse leur ami
qui s’est
retourné à l’arrière de la voiture
qui
maintenant démarre.
La semaine
suivante, le directeur leur demande
s’ils
veulent bien l’aider à nettoyer la chambre de leur ami.
2
Après une
soirée alcoolisée,
tandis qu’il
fait l’amour à
sa petite
amie Virginie, vingt-quatre ans,
Stéphane,
vingt et un ans,
arrête
brusquement d’aller et venir en elle.
Un ange
passe,
qu’il
assomme d’un coup de poing dans l’oreiller.
Un autre
passe,
il se lève,
marche calmement à travers les ténèbres
en direction
de la salle de bain, allume,
se regarde
dans le miroir et dit :
« Pourquoi
je n’y n’arrive pas ? »
Aussitôt il
se griffe le visage.
Puis ses
yeux tombent sur un tube de rouge
sur la
tablette du lavabo. Il l’ouvre,
et comme
Marietta Fortune
se peinturlure
entièrement le visage avec.
Il s’assoit
sur le rebord des wc un long moment.
Avec cette
odeur de gras du rouge qui l'écœure.
Quand plus
tard il sort et allume le plafonnier de la grande pièce,
sa petite
amie se met à rire en voyant
son visage
écarlate au bout de son long corps nu.
Et lui aussi
se met à rire.
3
Quand
Wilfried demande à son ami Stéphane
s’il veut
bien l’accompagner jusqu’à chez sa mère,
ce dernier
est surpris mais accepte.
Cependant il
doit rester seul dehors un long moment
après que
Willy ait frappé, au rez-de-chaussée
d’un
immeuble, sur ce volet fermé en plein jour,
et qu’une
voix geignarde et endormie ait répondu,
et que son
ami lui ait demandé d’attendre.
« Ma mère
est folle, » dit en souriant Willy
sur la route
du retour, et Stéphane se souvient alors
qu’il a
toujours pensé que son ami lui avait dit que sa mère était morte.
4
Stéphane,
vingt et un ans,
et un autre
Stéphane, vingt-six ans,
lequel a une
vieille Honda,
décident de
quitter Le Havre
pour la
journée. Ils roulent
jusqu’au
château de Tancarville,
situé sur
une haute falaise.
Après la
visite, apercevant d’un arbre
très ancien
la très épaisse
et très
longue branche
qui fait
pendre environ trois mètres
d’elle-même
au-dessus du vide,
le plus âgé
des deux garçons
s’accroche à
la branche,
et progresse
avec les mains
comme un
gymnaste sur une barre fixe.
Jusqu’à ce
que son corps soit suspendu
à près de
cinquante mètres
au-dessus
d’un village.
De leur
point de vue
les maisons
paraissent miniatures.
Le plus
jeune Stéphane
lui intime
de revenir,
et lui dit :
« J’ai confiance en toi,
mais peux-tu
faire confiance à cet arbre ?
Son bois est
peut-être pourri ! »
Son ami lui
répond
avec un
sourire,
faisant
rebondir la branche
de tout son
corps.
« C’est du solide
!» dit-il.
Son ami
recule d’un bond, pris de vertige.
Le Stéphane
suspendu,
quand il
comprend que la peur
qu’exprime
son ami
n'est en
rien simulée,
décide de
regagner la terre ferme.
5
A deux
heures du matin
quelqu’un
frappe à la porte de sa chambre.
Stéphane se
lève péniblement,
les yeux
encore embrumés ouvre.
C’est
Olivier, un grand sac de sport à la main
et souriant
de toutes ses dents.
« Jackpot !»
Stéphane est
d’un coup dégrisé du sommeil.
Son cœur se
met à battre plus fort,
le
réveillant cette fois pour de bon.
Ils
s’installent sur le lit.
Olivier
forçait parfois les coffres des voitures qu’il volait
provisoirement,
les ramenant toujours avant l’aube.
C’est cette
fois celle d’un voyageur de commerce.
Le sac est
lourd et plein à craquer de chaussures de foot
très haut de
gamme, en cuir.
Stéphane,
qui se charge en général du recel,
lui annonce
qu’avec ça ils auront de quoi manger
et se
défoncer pour un petit moment.
Mais
Stéphane, soudain,
regarde les
chaussures de plus près, une à une.
Les jetant
sur le sol de sa chambre,
il cesse de
sourire.
« Qu’est-ce
qu’il y a ? » demande Olivier, refroidi.
Stéphane
grimace.
« J’espère
qu’on va trouver un paquet de joueurs unijambistes,
il n’y a que
des pieds gauches. »
6
Sa
grand-tante aisée,
chez qui il
avait vécu depuis son retour de l’armée –
fuyant
encore la demeure paternelle
et
l’atmosphère hostile à son égard –
l’aide à
monter ses quelques affaires
– vêtements
et livres –
dans la
chambre qu’elle vient de lui trouver
au quatrième
étage de ce foyer pour jeunes travailleurs.
C’est elle
également qui lui a déniché,
grâce à ses
relations,
cet emploi à
temps partiel à l’hôtel de ville.
Juste avant
de se dire au revoir ils se fixent.
Le regard de
la vieille femme dit : « On t’aurait bien gardé
parmi nous,
mais mon fils a raison,
tu rejettes
pour je ne sais quelle raison notre éducation. »
Les yeux du
jeune homme disent : « Je suis heureux à l’idée
que les
humiliations cessent.
Le petit
orphelin vous dit merde. »
Ensuite ils
s’embrassent,
sa
grand-tante dépose
en souriant
mystérieusement
une petite
enveloppe blanche sur le bureau, et sort.
Stéphane
attend un peu,
regrette
déjà sa vilaine pensée.
Puis il
déchire la tranche supérieure de l’enveloppe
avec
l’index, mais y découvre avec surprise
un simple
papier plié en deux.
Sa
grand-tante y a noté tout ce qu’elle a dépensé pour lui
depuis ce
soir de décembre où il était arrivé à la gare.
Nourriture
(pour trois mois), cigarettes,
timbres, enveloppes,
photocopies cv,
médicaments…
Au-dessous
de cette liste, un nota bene précise
qu’il pourra
bien entendu
échelonner
ses remboursements.
7
Le foyer
n’était pas aux normes.
Le chantier
commençait
et les
résidents qui l’avaient souhaité
avaient été
replacés dans un autre endroit.
Les autres,
ceux qui avaient espéré
en profiter
pour partir,
prendre un
nouveau départ,
avaient eu
un délai
pour, par
exemple, trouver un appartement.
Beaucoup
échouèrent
et furent
finalement replacés.
Stéphane, lui,
profitait
de la chance
de son ami Johann
qui avait
désormais un appartement payé par son père,
lequel avait
passé provisoirement l’éponge
sur les
sales histoires de son fils.
En échange
de cet hébergement
(« Pas toute
la vie non plus, hein ! »)
Stéphane
aidait son ami dans ses cours d’anglais.
Quand
Stéphane repasse chercher ses rares possessions
– vêtements,
livres, manuscrits –
il tombe sur
Saïd
à l’entrée
de la résidence maintenant désertée.
C’est le
tout dernier jour.
Plus
personne ne peut rester,
ne serait-ce
qu’une heure de plus.
C’est ce que
lui dit son ami, les yeux rouges,
assis dans
la rue sur une chaise lui appartenant,
au milieu de
cartons, valises, sacs en plastique
et meubles «
achetés pour une bouchée de pain »
au cours de
deux années.
8
La chambre
d’Olivier est froide.
Le directeur
fait une allusion rapide à l’éventuelle illégalité
de certains
objets présents sur la moquette
tachetée de
graisse et sauces diverses et de brûlures de hash.
Willy et
Stéphane enregistrent le message.
Tout doit
disparaître.
Les sept ou
huit batteries de voiture
qui
servaient à alimenter l’autoradio
grâce auquel
Olivier écoutait ses cassettes volées.
Il n’y a
presque pas de vêtements.
T-shirts et
caleçons sales. Chaussettes aussi.
Des bougies
de moteurs
– avec lesquelles,
comme il leur a appris,
il cassait «
très facilement et sans trop de bruit »
les vitres
des caisses – jonchent le sol.
9
C’est un
beau jour de printemps.
Stéphane,
revenant d’une petite virée matinale,
entre dans
la salle télé.
Olivier est
assis, de dos, à une des tables.
C’est la
première fois que Stéphane voit son ami lire le journal.
« Tu
t’intéresses aux nouvelles maintenant ? »
« Je regarde
le journal tous les mardis. »
« Pourquoi
le mardi ? »
Olivier
regarde autour de lui. Personne.
« C’est le
jour où ils publient la liste des voitures volées
de la
semaine passée. »
Rayonnant,
il montre la liste du doigt.
Il y a
apparemment eu onze vols déclarés ces sept derniers jours.
Olivier
tapote avec l’ongle de son index
chaque
description qui le concerne.
Cinq
voitures.
« Uniquement
des Golf ? » demande, fasciné, Stéphane.
« Ce sont
d’excellentes voitures,
et pas assez
luxueuses pour être équipées d’une alarme.
Leur neiman,
à péter, est un jeu d’enfant.
Bon allez,
je te laisse, je dois dormir un peu
si je veux
être d’attaque pour cette nuit. »
Et il
repousse sa chaise et disparaît.
10
Ce grand
Arabe en manteau tabac,
avec canne à
pommeau et panama
a la classe
quand il
s’amourache un soir de Stéphane.
Alors
Stéphane le laisse se fixer dans sa chambre.
Le type
tombe sur une cassette de George Benson
récupérée
dans une caisse volée il y a deux jours.
Le type la
passe et bafouille des louanges.
« Mon idole
attendait chez toi !»
Le regard
toujours plus noir.
Et il danse,
mou, défoncé.
Et le trou
dans son bras le fait chuter
d’un coup
dans ceux de Morphée. Il tombe.
Ses yeux
sont un peu ouverts et Stéphane le croit mort.
Il fait
taire l’idole dans le poste et place sa main sur la bouche figée.
Il respire.
Stéphane
l’appelle, secoue, lui met des claques.
Le bel Arabe
dort.
Il le
contemple le temps d’une cigarette
et de
décider de le porter comme un cadavre jusqu’à la cage d’escalier.
Stéphane le
tire par-dessous les bras,
les talons
de ses boots grincent sur le sol.
Il l’adosse
à la rambarde,
pose son
chapeau sur son visage,
glisse sa
canne entre ses doigts
et la
cassette de son idole comme un pardon dans une poche.
11
Le foyer est
constitué de deux bâtiments soudés en un T.
La partie
principale, de quatre étages, est la barre horizontale de ce T
et l’annexe,
la barre verticale, avec seulement deux étages.
Depuis
quelques jours, Pierre, 24 ans,
a décidé
d’aménager en terrasse la partie du toit de l’annexe
qui se
trouve juste au niveau de sa fenêtre, au troisième étage.
La nuit, il
enfile des bottes en caoutchouc,
enjambe sa fenêtre
et saute avec une pelle de cantonnier
sur le toit
goudronné.
Il jette par-dessus
bord des pelletées de cette alluvion
accumulée au
fil des années.
Et il fait
tout ça en vocalisant des gammes.
Ce faisant
il ne gêne personne.
Ceux qui ont
des occupations pénibles dorment à poings fermés,
et les
autres sont de l’espèce qui se couche à l’aube.
Seulement,
un midi,
tandis que
Stéphane, 20 ans, et Erika, Floridienne, 19 ans,
mangent dans
la chambre de Willy, 18 ans,
ils aperçoivent
Pierre sur le toit du bâtiment contigu.
Il tente de
déplacer une coupole à fleurs en béton
et leur
crie : « Je ne veux pas de ça sur ma terrasse ! »
L’un des
deux garçons lui dit pour rire
qu’il n’a
qu’à la balancer par-dessus,
avant de se
souvenir que ceux qui le connaissent
l’appellent
Pierrot le fou.
Pierrot est
émerveillé par cette idée.
Il peine, tire
la lourde coupole jusqu’au bord, la soulève de toutes ses forces,
et d’un coup
de hanche la fait basculer du toit.
Elle chute
dans le vide, emporte avec elle une gouttière
et s’écrase
en éclatant au pied d’une fenêtre
qui sous le
choc à son tour explose complètement.
Du verre
brisé et des morceaux de bois et de béton
sont tout ce
qu’il reste de cette scène.
Erika, Willy
et Stéphane sont ébahis et Pierre exaucé.
Soudain un
type, que tout le monde appelle Metallica à cause de ses t-shirts,
jaillit du
trou noir où se trouvait la fenêtre
et lance des
imprécations en direction du toit,
tend le
poing : « Bordel, ma putain de fenêtre, espèce de taré !
Et t’as
failli avoir ma télé ! »
Et les trois
amis rient à gorge déployée
quand le
type, turgescent de colère,
doit faire un
pas en arrière pour éviter la pelletée de boue
qui du ciel
arrive droit sur lui,
lancé par
cet autre type qui, dorénavant totalement satisfait,
s’est remis
indifférent au travail,
chantant à
nouveau des gammes.
12
Willy, 17
ans, a un voisin qui semble à la fois très jeune et très vieux.
Ce type
écoute Mike Brant en boucle
et fait
dormir presque chaque soir sous sa table
un ami à lui
qui ne parle jamais.
Un jour, tandis
que Willy, Olivier, 17 ans et Stéphane, 19 ans,
s’apprêtent
à voler une voiture,
le voisin
débarque chez Willy avec un autre ami.
Celui-là est
bavard. A des yeux d’HP.
Vers une heure
du matin, les cinq décident de commettre ensemble ce vol.
A environ
trois rues derrière le foyer, Olivier repère une Golf.
Le voisin de
Willy se met en faction à un bout de la rue
et les trois
autres se faufilent dans une porte
cochère à l’autre bout.
La rue est
silencieuse.
Un bruit de
moteur au loin et un miaulement,
c’est tout
ce qu’ils entendent
en dehors du
petit bruit que fait le tournevis d’Olivier
s’activant
dans la serrure de la Golf.
D’ailleurs
il tarde. Habituellement,
la serrure,
les fils et le déblocage du neiman
(deux brusques
coups de volant à gauche et à droite),
tout était
fait en trente secondes.
Le voisin de
Willy au loin s’impatiente et semble nerveux.
Le petit
groupe entend Olivier jurer.
Et puis ils
entendent des pas. Des talons.
Et un petit
trottement.
L’ami du
voisin, celui avec ses yeux d’HP,
sort immédiatement
un couteau,
prêt à se jeter
sur la personne qui arrive.
Stéphane et
Willy lui saisissent le bras et le raisonne.
Le type
insiste, veut se libérer.
Mais l’un
des deux garçons dit : « Regarde,
c’est une
pauvre petite vieille, elle voit pas à deux mètres
et même si elle
nous grille, elle aura trop peur. »
Le type
range son couteau. Ils se taisent.
Olivier se
cache derrière une voiture et le voisin n’est plus visible.
La vieille
passe sur le trottoir avec son petit chien.
Le bruit de
ses pas s’éloigne.
Elle tourne
au coin de la rue. Silence.
Les cinq se
réunissent au milieu de la chaussée.
Stéphane et
Willy disent à Olivier qu’ils ne le sentent pas,
lui
désignant du coin de l’œil le type aux yeux d’HP.
Olivier
saisit le message.
L’affaire
est abandonnée. Ils rentrent.
13
Stéphane, 21
ans, et Mickey, 20 ans,
sont avec
quelques autres dans la chambre de cette jolie fille brune
à cheveux
courts qui met un disque de Nitzer Ebb.
Mickey, qui
n'est absolument pas homosexuel,
mais dont
les amis font courir le bruit qu'ivre il aime dans un lit
parfois
fortement se serrer contre un ami, susurre
à l'oreille
de Stéphane : « Si j'avais un verre de plus, je t'embrasserai. »
Stéphane,
qui n'est absolument pas homosexuel
mais complètement
amoureux de la jeune fille brune
depuis qu'il
a vu un t-shirt de Jesus & Mary Chain
sur
l'étendoir de sa salle de bain, le regarde.
Puis le
défiant des yeux, il tend son verre plein à Mickey.
14
Un soir,
Stéphane, 21 ans, se trouve
chez sa
petite amie, Virginie, 24 ans,
et tandis
qu’il l’attend,
parce qu’elle
est sortie faire des courses pour la soirée,
fouillant
les tiroirs à la recherche d’anxiolytiques
– ceux qu’elle prend pour son traitement –
il tombe sur
son exemplaire de Sacher-Masoch entre deux pulls,
qu’elle
jurait lui avoir rendu.
Il le remet
en place.
Et puis il
descend quelques verres de porto
et décide d’écrire
une très longue et très belle lettre
– citant
même cette strophe que Séverin composa pour Wanda –
à son
ex-petite amie, Ségolène, 16 ans.
Quand
Virginie est de retour, heureuse de lui être rendue,
les bras
chargés de courses,
Stéphane se lève
et cache la lettre dans son manteau
et l’embrasse
et se sert un autre verre.
15
Un dimanche
après-midi, tandis que Virginie, 24 ans,
fait aller
et venir ses lèvres sur son sexe,
Stéphane, 21
ans, tire sur sa cigarette et s’exclame,
un doigt
pointé sur l’écran de télévision :
« Regarde,
c’est l’immeuble de mon père ! »
Virginie
lève la tête, regarde l’écran, dit : « Bonjour, Papa ! »,
rit et
plonge à nouveau sous les draps.
16
Leonard
Cohen, Alan Stivell et Ali, 25 ans,
ne se
séparent plus.
Quand
Stéphane, 20 ans, passe la soirée chez Ali,
ils fument
l’herbe qu’Ali fait pousser dans sa chambre
et écoutent
en boucle, dans un silence religieux,
The Partisan et Hommes liges des talus en
transe.
Ali est aux anges.
Et Stéphane
aussi, car ce sont ses disques.
Et Ali ne
les lui rend plus.
Mais
quelques mois plus tard, Ali rentre du «
bled »,
où il est
allé pour la première fois.
Stéphane lui
propose un joint. Ali le refuse.
Souriant, il
dit avec un geste de dégoût presque théâtral :
« C’est pas
bien la drogue, les amis. Non, pas bien. »
Et Ali lui
rend les disques.
17
Stéphane, 23
ans, a passé la nuit
chez
Marianne, 24 ans, et Stéphane, 29 ans.
Se
réveillant, il ouvre les yeux,
les décrotte
un peu et se lève, ouvre cette porte
qui laisse
passer dessous elle un large trait de lumière.
Dans la
cuisine, ses deux amis l’accueillent avec joie.
Marianne lui
propose un chocolat et des tartines,
et son petit
ami, basculé sur sa chaise,
fait
chauffer sa cuillère sur le brûleur de la gazinière.
« Je te
proposerais bien du sucre mais j’en ai plus », dit-il.
« Je n’en
veux toujours pas », lui répond son cadet.
« Mais moi
je ne suis pas au régime, mon chéri ! »
lance
Marianne, faisant semblant d’être fâchée.
Et le jeune
Stéphane rit avec eux.
Et le ciel
est bleu et sur le rebord de la fenêtre
qui domine
la cour constellée de fientes,
un petit
oiseau se pose et chante brièvement.
18
Stéphane, 19
ans, Willy, 17 ans roulent
dans une
voiture conduite par Olivier, 17 ans,
voiture
qu’ils viennent de voler.
Une grosse
Alfa Romeo rouge.
Dans la
nuit, ils roulent à destination de Rouen
sur
l’autoroute désertée.
A chaque
fois qu’ils tournent,
la direction
fait un tac tac tac épouvantable
à cause que
le neiman n’a pas été cassé complètement.
Ils roulent
à une vitesse raisonnable
et écoutent toutes
les cassettes qui se trouvent à bord.
Eddy Mitchell. Fenêtre.
Dick Rivers. Fenêtre.
Claude François.
Fenêtre.
Bécaud.
Fenêtre.
Ils rient
encore plus fort
à chaque
fois qu’une cassette est jetée par-dessus bord.
Puis ils se
garent sur un parking
dans la
banlieue de Rouen
pour
qu’Olivier puisse pisser.
Tandis que Stéphane
et Willy dansent sur le toit,
Olivier leur
fait remarquer qu’un jeune couple fait l’amour
dans la
voiture garée à côté de « la leur ».
Ils sautent
sur le toit en criant : « Oh, c’est bon, mon amour ! »,
éclatent de
rire, reprennent leurs places
et
redémarrent en trombe.
Juste avant
d’entrer dans Rouen,
Olivier
repère deux filles qui font du stop dans l’autre sens.
« On va les
prendre ! »
Il passe sur
l’autre voie
avec un affreux
bruit de mitraillette dans la nuit muette,
et s’arrête
à leur hauteur.
Les deux
filles qui rejoignent Stéphane à l’arrière n’en sont pas,
sont des
lycéens aux cheveux longs.
Willy et Olivier
rient aux éclats en voyant la tête de Stéphane.
Les nouveaux
venus disent qu’ils vont dans un bled
qui se
trouvent à vingt bornes.
Olivier
dit : « Ok, on vous dépose. »
Puis la
voiture quitte le bas-côté,
reprenant la
direction du Havre.
Silence. Un
des types chevelus tente une conversation.
« C’est où,
42 ? »
Stéphane,
Willy et Olivier se regardent
et disent
presque à l’unisson : « J’en sais rien. »
Silence. Les
deux jeunes types se fixent, un peu inquiets.
Puis Olivier
dit : « Voilà,
maintenant
vous savez que vous êtes dans une voiture volée. »
Et tout le
monde sourit.
L’un des types,
voulant se la jouer cool,
demande à
Olivier une leçon pour faire les fils.
Olivier se
range aussitôt sur une bande d’arrêt d’urgence
et lui donne
un cours sur comment démarrer la voiture sans clé.
« Un jeu
d’enfant. » Ils repartent
et les trois
compères déposent les deux jeunes gus
et prennent
la décision d’étrenner le chéquier
qui se trouve
dans la boîte à gants.
L’enseigne
agressive d’un bar de nuit sur leur droite
les invite à
s’arrêter.
Ils tournent
– tac tac tac – et se garent entre
des camions
venus de tous
les pays d’Europe.
Il fait
chaud à l’intérieur.
Ils traversent
un épais nuage de fumée
et
s’installent à la seule table libre au fond.
Ils
commandent tous trois un whisky et un paquet de cigarettes.
Stéphane
prépare le chèque.
Ses amis
lisent le nom et l’adresse sur le chéquier.
En sortant
du bar, ils lui disent : « Merci pour le verre
et les
clopes, Bruno. » Ils s’esclaffent.
De retour au
Havre, il fait jour.
Ils garent
la voiture sur un parking du port.
Le tac tac tac de la direction ne les fait pas
remarquer.
Ils prennent
un petit-déjeuner dans un bar.
Willy demande
un café avec cognac et œuf intégrés.
Ses amis
font la grimace.
« Ça
requinque. Et vous, vous allez vous coucher, pas moi. »
Et en effet,
après que Stéphane
eut payé avec un nouveau chèque,
Olivier et lui
déposent Willy devant son école hôtelière,
et une fois
la voiture abandonnée
par jeu dans
une rue parallèle à celle où ils l’ont « empruntée »,
regagnent le
foyer et leurs chambres respectives
et se
couchent.
19
Stéphane, 25
ans, Stéphane, 20 ans et Willy, 18 ans,
rentrent au
foyer par la porte de nuit.
Il est tard,
il fait froid et pluvieux
et personne
ne répond à la sonnerie.
Ils
insistent. Personne.
Finalement,
c’est un autre résident, un ami à eux,
Erwin,
Hollandais, 25 ans, qui leur ouvre.
Le gardien de
nuit, un Antillais d’une trentaine d’années,
cuve son
rhum allongé sur le bar de la cafétéria,
salle qui
précède l’entrée principale
et l’accès à
l’escalier qui mène aux chambres.
Ils se
marrent et repensent à toutes les fois
où ce type
leur a fait des crasses.
Alors
soudain ils ont une idée.
Lui faire
une mauvaise blague.
Ils décident
de monter le babyfoot jusqu’au premier étage.
Ils peinent.
C’est lourd. Très lourd.
Mais ils y
parviennent.
Ils ont été
très discrets.
Le gardien
ne s’est pas réveillé.
Il est
simplement passé d’une position dorsale
à une
position en chien de fusil.
Une fois le
baby au premier étage,
tous les
résidents encore éveillés se mettent à y jouer
dans une
grande liesse, savourant surtout par avance
la brimade
que le directeur ne manquerait pas de faire
à cet
enfoiré de gardien le lendemain.
Le
lendemain, le babyfoot fut redescendu
sans que
personne n’ait dénoncé les coupables
et le
gardien fut renvoyé.
20
Ce soir,
tout le foyer fait la fête
dans le bar
de la cafétéria.
Le fils du
directeur joue même avec son groupe de rock
dans un coin
de la salle.
Parmi tant
d’autres, le nouveau,
à peu près
18 ans, danse
avec une
femme blonde, à peu près 30 ans,
qu’il a
invitée sur la piste
parce
qu’elle est sa collègue de travail
et qu’elle
se trouve dans cette soirée
par le plus
curieux des hasards, se dit-il.
Il y a une
grande joie dans l’air.
Tous les
soucis – loyers en retard,
histoires de
justice, examens scolaires,
complications
familiales – sont oubliés.
C’est alors que
le gardien de nuit, la trentaine,
qui n’est
pas en service,
sortant de
la chambre où il réside,
bondit sur
le couple de danseurs
une machette
au poing
et les yeux
injectés de sang.
Tout le
monde s’écarte en criant.
Le groupe quitte ses instruments dans un bruit
de larsen.
Ça hurle, ça
tremble, ça se stupéfie.
Le directeur
et un autre type interviennent.
Ils lui font
entendre raison et parviennent à le désarmer.
Puis à
libérer la femme blonde,
celle qu’il voulait
tuer en compagnie du nouveau.
Et c’est
l’instant où tout le monde découvre
que le
gardien a une petite amie
blonde, à
lunettes, d’environ trente ans.
21
Stéphane, 21
ans, est dans sa chambre, une bière à la main.
Il écoute
parler sa petite amie, Ségolène, 16 ans.
Elle lui dit
qu’elle ne pourra pas faire l’amour avec lui.
Pour elle,
c’est important. La première fois.
Mais elle ne
pourra sans doute pas.
Alors elle
lui parle d’un séjour au ski
quand elle
était plus jeune. 12 ans, 13 ans.
Elle est
dans le chalet de son oncle,
et comme il
fait très froid et qu’il n’y a qu’un seul lit,
ils dorment
ensemble. Elle pleure,
adossée à la
fenêtre ouverte dans la chambre de Stéphane.
Elle arrache
nerveusement l’étiquette de sa bière avec ses ongles.
Elle lui dit
ce que son oncle a tenté de faire.
Elle dit,
des larmes de rage dévalant ses joues encore enfantines,
que s’il
était là, devant elle, qu’elle le tuerait.
Le
pousserait de cette fenêtre du quatrième étage
et
qu’ensuite elle descendrait dans la rue pour le piétiner,
cracher sur
son corps mort ou à l’agonie.
Stéphane
sent son propre cœur trembler.
Il regarde
sa petite amie.
Dans le
silence, elle contemple le bout de ses
chaussettes,
et peut-être
les rognures de papier autour.
L’étiquette
de sa bière est entièrement lacérée.
Puis elle
lève la tête vers lui, les yeux noyés
et lui dit
autoritairement : « Mais toi aussi, tu t’en fous, hein ? »
Elle le
fixe, n’attend aucune réponse.
« Non, je ne
m’en fous pas » dit-il doucement,
la
regardant, ne sachant quoi faire.
« Tu dis ça,
mais c’est des conneries. »
« D’après
toi ? Regarde-moi » lui dit-il.
Alors elle
le regarde, le scrute. Le visite avec ses yeux.
Soudain elle
l’embrasse, il goûte ses larmes avec le
baiser.
Puis elle
prend sa main, le tire vers le lit, se déshabille.